jeudi 17 juillet 2008

Nouvelle loi sur les archives françaises


En date du 15 juillet 2008, portant le numéro 2008-696 et publiée (et immédiatement applicable semble-t-il) au Journal officiel du 16 juillet 2008, cette nouvelle loi relative aux archives donne une nouvelle définition des archives publiques dont le caractère d'imprescriptibilité est renforcée (article 5), c'est-à-dire que nul ne peut détenir sans droit ni titre des archives publiques. Elle donne également des nouvelles conditions de collecte et de conservation des archives et la protection des archives privées est aussi renforcée (article 6) ainsi que le droit de préemption de l’État sur les archives privées (article 9). L'article 17 donne le régime de communication des archives publiques qui sous réserve des dispositions des articles précédents sont communicables de plein droit (voir le tableau qui suit) et les dispositions pénales sont définies par l'article 19 (45 000 € d'amende et 3 ans de prison pour toute personne détentrice d'archives publiques en raison de ses fonctions et qui a essayé de détourner ou soustraire tout ou partie de ces archives ou de les détruire, etc., brrr !).

Revenons à l'article 17 qui modifie les délais de communication des archives judiciaires notamment (qui m'arrange un peu, moi qui publie fréquemment des billets sur les dossiers de la Division criminelle du ministère de la Justice). En effet, dorénavant, les archives publiques sont communicables de plein droit à l'expiration d'un délai de 75 ans (au lieu de 100 auparavant) à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier pour les documents relatifs aux affaires portées devant les juridictions, sous réserve des dispositions particulières relatives aux jugements, et à l'exécution des décisions de justice.

Un dessin valant mieux que des paroles, voici un tableau synoptique des délais de communication en vigueur depuis hier 16 juillet 2008 :

  • Pour les documents relatifs à l'intimité de la vie sexuelle des personnes : enquêtes de la police judiciaire, affaires portées devant les juridictions et documents se rapportant à une personne mineure : enquêtes de la police judiciaire, affaires portées devant les juridictions, minutes des notaires, le délai ne change pas : 100 ans ou 25 ans à compter du décès de l'intéressé, si ce délai est plus bref.
  • Pour les documents portants sur le secret de la défense nationale, intérêts fondamentaux de l'État dans la conduite de la politique extérieure, sûreté de l'État, sécurité publique, sur la protection de la vie privée, sur des documents portant un jugement de valeur ou une appréciation sur une personne physique, ou faisant apparaître le comportement d'une personne dans des conditions susceptibles de lui porter préjudice (ancien délai 60 ans, nouveau délai : 50 ans).
  • Ceux portants sur le secret en matière de statistiques : données collectées au moyen de questionnaires ayant trait aux faits et comportements d'ordre privé (dont recensement), sur les enquêtes réalisés par les services de la police judiciaire et ceux relatifs aux affaires portées devant les juridictions et à l'exécution des décisions de justice ainsi que les minutes et répertoires des officiers publics ou ministériels (ancien délai 100 ans, nouveau délai : 75 ans).
  • Les dossiers de personnel (de 120 ans à compter de la naissance à 50 ans en raison du régime particulier (on applique le délai relatif à la protection de la vie privée) et ceux contenant des documents relatifs au secret médical passent de 150 ans à compter de la naissance à 25 ans à compter du décès ou 120 ans à compter de la naissance).
  • Pour tout le reste, on applique le régime de principe, soit la communicable immédiate à la place du principe trentenaire (30 ans) de l'ancienne loi. Enfin la communication des délibérations du Gouvernement et des autorités relevant du pouvoir exécutif (conduite des relations extérieures, monnaie et crédit public, secret commercial et industriel, recherche des infractions fiscales et douanières, etc.) passe à 25 ans au lieu de 30 ans.
Progrès ou pas progrès ? Faut-il revenir à la loi du 7 messidor an II qui selon son article 37 donnait à tout citoyen, aux jours et aux heures de son choix, sans frais, sans déplacement et évidemment avec les précautions convenables de surveillance, la communication de presque toutes les archives qu'il souhaitait consulter !

4 commentaires:

Anonyme a dit…

La notion d'imprescribilité figurait déjà dans la loi de 1979, ce n'est absolument pas une nouveauté. par contre, la notion d'inaliénabilité, qui protégeait les archives publiques définitives déjà conservées dans un service d'archives, a disparu : personne ne l'a commenté (sauf Isabelle Rambaud : Archives : le prix à payer : http://isabelle-rambaud.blogspot.com/search/label/archives), alors que c'est un affaiblissement de la loi, qui va permettre les démembrements et n'empêchera pas certains de se "servir dans les collections", un peu comme les musées dont on envisage sérieusement de pouvoir vendre des oeuvres en puisant dans les réserves. Partout où cela s'est fait, on s'en est mordu les doigts très sévèrement (voir le site de Didier Rykner qui donne de multiples exemples). Les archivistes connaissent sans doute mieux leurs collections que les musées (moins d'incertitude sur l'origine des documents, et moins de faux aussi) mais ils auront du mal à résister aux "amicales" pression de gestionnaires et de lobbies prêts à tout solder pour faire du fric.

DA a dit…

Très juste ! Isabelle Rambaud avait commenté la notion d'inaliénabilité dans son bloc-notes.
Tout aussi juste votre commentaire sur les démembrements et les ventes des «œuvres» d’archives ! Nous en avons encore retrouvé des «papiers» appartenant aux collections publiques chez un commissaire-priseur non loin de la rue Drouot (lire notre billet http://danis-assy.blogspot.com/2008/10/les-vols-darchives.html).

Entre nous, je trouve que cette loi nous apportera moins de solutions et nous posera plus de problèmes qu’auparavant en terme de communication (cette loi qui protège les intérêts des personnes et des individus laisse très peu de manœuvre pour la description archivistique (par typologie donc ) à laquelle nous avons tous été habitués jusqu’à présent).

Mais bon…elle a été votée, il va falloir faire avec !

Anonyme a dit…

Nous sommes d'accord : entre les perspectives de versements accrus qui vont saturer une bonne partie des services d'archives départementaux et la pénurie d'archivistes pour assurer ces chantiers (il faut voir les derniers avis de vacance de postes de conservateurs et de chargées d'études documentaires affectés en archives départementales, on atteint les 25 postes vacants dans chacune des catégories, chose jamais vue depuis au moins 30 ans), la loi pose plus de problèmes qu'elle n'en résoud.
Les nouveaux délais avec leur raisonnement par type d'information sont inapplicables : on se voit mal chinoiser "cette feuille oui, cette feuille non , et celle-là à moitié seulement avec un cache", sachant que l'on communique et gère les archives au DOSSIER et non à la FEUILLE. Au niveau des salles de lecture, c'est ingérable, aucun agent n'accepte d'être placé devant l'obligation de discuter sur chaque boite d'archives et de choisir lui-même ce qui est communicable ou pas : si on avait des archivistes diplômés à ces postes de magasiniers qui assurent le service des salles de lecture, ce serait peut-être possible, avec une assez grande part d'arbitraire toutefois, et tout le monde en est conscient, y compris les intéressés, pas certains de prendre toujours des décisions identiques tant les documents sont variés et différents les uns des autres, mais ce n'est pas le cas. On fait donc un pas conséquent vers des décisions de communication au public non sécurisées et qui auront sans doute une part d'arbitraire difficile à réduire et à maîtriser. Pendant ce temps qu'on perdra à compliquer des choses qui étaient plus simples, les équipes réduites ne pourront pas s'occuper de préserver les archives électroniques en formation.

DA a dit…

Votre réponse m'a donné l'idée d'illustrer la difficulté d'application de cette loi par un cas concret.
cas concret
Bien à vous.