mardi 24 septembre 2013

L’intérêt historique des dossiers de clients du Minutier central.

Faire-part de décès, 10 mai 1888, XXXI, DC2

Dans le billet précédent , nous avons défini les dossiers de clients au Minutier central ainsi que leur contenu, voyons à présent leur intérêt pour l’histoire.

Contrairement à la sélection «bibliothéconomique» de Coyecque (qui, rappelons-le, avait commencé sa carrière à la Bibliothèque nationale avant un bref passage aux Archives de la Seine, voir sa notice sur Wikipédia), les dossiers de clients répertoriés dans les carnets laissées par son successeur, Marie-Antoinette Fleury, sont le résultat d'une sélection archivistique. D’après une note du 18 novembre 2004 laissée par mon collègue Joël Poivre, les critères retenus à l'époque étaient les suivants : élimination des «petits dossiers» (informations peu intelligibles et peu instructifs) conservation des dossiers de personnalités connues ou de personnes ayant exercé des fonctions relativement élevées (exemple : ambassadeur, officier, parlementaire, membre des juridictions, ministres du culte, chef d'entreprise, archiviste et bien sûr aussi notaire), conservation des dossiers d'entreprises, conservation des dossiers contenant des pièces d'origine étrangère (en particulier les actes d'état civil).

Que trouve-t-on aujourd’hui dans ces dossiers ? Sont-ils utiles à l’histoire ? 
La très grande majorité sont des dossiers de succession avec correspondance active et passive de l'étude avec les héritiers, les créanciers, les débiteurs, les administrations fiscales, etc, des titres de propriété, des testaments, des contrats de mariage, des actes liquidatifs de succession, inventaires après décès et papiers trouvés au domicile du défunt (lettres privées mais aussi tickets de théâtre, de métro, carnets de blanchisserie, carnets de chèques ? etc.

Contrat de mariage, 6 juin 1862, XXXVI, DC3
" (...) la future épouse aura pour son entretien et sa dépense personnelle une pension annuelle de 4000 F, etc."

On y trouve donc, surtout pour les familles propriétaires de biens et de domaines immobiliers depuis très longtemps (ou même plusieurs siècles pour les «grandes familles»), des titres de propriété et d'autres documents privés remontant jusqu’au Moyen Âge…une manne pour le généalogiste.

Pour les dossiers de clients créés à l'occasion de la préparation d'un seul acte (vente, contrat de mariage, etc.), ce sont des ensembles généralement peu volumineux, parfois même réduits à deux ou trois pièces. La valeur informative, et, partant, l'intérêt historique, de ce genre de dossier est quasi nulle d’après Joël Poivre. Pour autant leur intérêt ne sera pas négligeable parce que dans les actes de vente on trouvera des correspondances avec d’autres acteurs (banques ayant prêté ou non à l'acquéreur, administrations, etc.), on y trouver des plans, ses anciens titres de propriété qui ont été utilisés pour la rédaction de l'acte et qui contiennent souvent des renseignements qui n'ont pas été repris dans celui-ci, des conventions de mitoyenneté, de cour commune, de passage, etc. auxquels l'acte d'acquisition se borne parfois à faire seulement référence, etc.

Les dossiers de faillite, quant à eux, constituent une catégorie à part mais qui ressemble beaucoup à la précédente quant à la pauvreté de leur contenu. Ils ne contiennent en effet guère plus que l'avis d'adjudication et les journaux dans lesquels il a été publié, et de plus il faudrait vérifier ce qu'apportent ces dossiers par rapport à ceux conservés aux Archives de Paris beaucoup plus riches.

En règle générale donc, chacune des affaires confiées au notaire comporte une volumineuse correspondance et les pièces utilisées pour la rédaction des actes, qu'il n'a pas toujours été intelligent d'annexer à ceux-ci pour des raisons pratiques de volumétrie. On citera comme exemple plus particulier d'utilité des dossiers pour le généalogiste le cas des délibérations de conseils de familles lorsque l'une des parties ou l'un des héritiers est mineur, ces documents contiennent de nombreuses précisions sur les familles paternelle et maternelle, très précieuses pour le généalogiste. De plus, les dossiers de correspondance et d'enquête fourmillent de renseignements utiles.

Quel type de tri appliquer aux dossiers de succession (la typologie la plus représentée des dossiers de clients) et qui présentent une valeur informative réelle ? Si je me réfère à la synthèse du groupe de travail des archivistes et des statisticiens réunis de septembre 2011 à octobre 2012 pour la dernière touche de leur «Circulaire définissant les règles et la méthodologie pour l'évaluation, la sélection et l'échantillonnage des archives publiques», il faudrait abandonner les anciennes méthodes (jugées «peu scientifiques») et privilégier l'échantillonnage systématique pour réaliser des échantillons plus exploitables par les chercheurs. Mon collègue Poivre avait, dans son temps, proposé la constitution d'un échantillon «selon des critères objectifs et d'application aisée» et suggéré les critères suivants. Seraient conservés : les dossiers de personnalités (ou de familles) ayant une notoriété reconnue (vérifiable, par exemple, par le recours à des dictionnaires biographiques ou selon les fonctions exercées) ; les dossiers des personnes dont le nom commence par les lettres A,B, E, R, T, N (autrement dit, un critère aléatoire, d'application «automatique», permettant d'obtenir une certaine représentativité de l'échantillon). Quant aux dossiers d'entreprises, autres que les dossiers de faillite, un examen plus poussé devrait être entrepris.

Comment les communiquer ?

Le statut «archives privées» des notaires soulève au moins deux questions : qui en est le propriétaire et quelles règles de communicabilité leur appliquer ? Toujours d’après cette note de 2004 laissée par mon collègue Joël Poivre, la question de la propriété n'est pas aussi simple qu'on pourrait le penser par ce que, si les brouillons d'actes, la correspondance active et passive, les comptes de l'étude appartiennent, à l'évidence, à l’étude, on ne saurait en dire autant des papiers divers confiés par les familles au notaire, ou pris par celui-ci au domicile d'un défunt et qui deviennent, après un laps de temps plus ou moins long propriété de l'étude (en théorie)...Donc, s'agissant d'archives privées, les règles de communicabilité doivent être fixées contractuellement avec le propriétaire (mais quel «propriétaire» ?).

Bref, une méthode de sélection et d'échantillonnage doit être mise au point alors que le Minutier s’apprêtera à recevoir de nombreux mètres linéaires de dossiers de clients en provenance de Fontainebleau, de Roubaix et bientôt des études elles-mêmes qui ont commencé, rappelons-le, leurs premiers versements aux Archives nationales. En effet, depuis le début de cette année 2013, près de 2 km.l. ont été versés par une trentaine d’études…2 km.l. de minutes exclusivement, il n’y a pour le moment, aucun répertoire ni aucun dossier de client, mais ça viendra…

mercredi 11 septembre 2013

Que sont les "dossiers de clients" du Minutier central des notaires de Paris?

"Prière de ranger ce répertoire", étude de Me Dufour
un répertoire sur les "dossiers clients" (assez rare!)

Des documents produits par les notaires, on connaît les minutes (qui ne sont plus à présenter) ainsi que les répertoires (registres établis par eux et où ont été relevés, dans l’ordre chronologique, tous les actes passés dans leur étude et qui indiquent date, nature de l’acte et noms des principales parties concernées...en somme, c’était dans le temps, des instruments de travail qui nous servent aujourd’hui d’instruments de recherche).

Minutes et répertoires donc. Mais que sont les dossiers de clients au Minutier central ?

Ces documents sont en fait constitués par les notaires pour préparer leurs actes. Ils contiennent donc des pièces relatives aux affaires traitées et, parfois, des documents annexes tels des arbres généalogiques, des titres, etc., confiés par les clients et restés, de fait, à l'étude car jamais réclamés par leurs déposants (en toute rigueur, ces papiers auraient dû être restitués aux familles, mais celles-ci ne les ayant pas réclamés, parce qu'elles estimaient que l'étude du notaire était encore le lieu le plus approprié à la conservation de leurs archives familiales, les ont laissé au notaire…pourrait-on, en conséquence, des années plus tard, considérer que «possession vaut titre», que ces papiers deviennent, après un laps de temps plus ou moins long propriété de l'étude !).

Les déposants en question sont des personnes physiques, des familles ou des entreprises.
Et contrairement aux minutes et répertoires (archives publiques), on a affaire ici à des archives privées (pas de versements systématiques ou réglementaires donc).
Ces dossiers ont reçu une cote MC/DC [pour Minutier Central/Dossier Client] (les répertoires sont cotés MC/RE et les minutes et MC/ET).

Ainsi, eu égard leur intérêt historique (on le verra par la suite), les responsables du Minutier central, à commencer par Ernest Coyecque, depuis la création du Minutier central, puis par Marie-Antoinette Fleury (tous deux étaient des «archivistes-conseils» de la Chambre des notaires, le premier jusqu’en 1954 et Marie-Antoinette Fleury de 1954 à 1976), se sont efforcés d'obtenir la remise aux Archives nationales de ces nombreux dossiers de clients, que les notaires, en principe, détruisaient au bout de 30 ans…

Exemple d'une cote d'une pièce d'un dossier de client
ici DC 1 de l'étude XLVIII


Or, comme on l’a dit, ces dossiers contiennent des pièces relatives à des affaires précises, mais aussi des documents qu'on pourrait qualifier d'archives privées des notaires (comptabilité, dossiers du personnel, etc.). À côté de ces archives «administratives» de l'étude, on trouve des documents sur les dossiers de succession (de loin les plus nombreux aujourd’hui), des dossiers de préparation d'un acte isolé (contrat de mariage le plus souvent), des dossiers de faillite de sociétés, etc.

Des documents de ce type sont donc parvenus au Minutier central en même temps que les premiers dépôts de minutes. Ils forment aujourd’hui une série intitulée «Mélanges» (près d’un millier d'articles provenant de 82 études mais avec des groupes documentaires d'inégale importance) dont certains documents remontent au Moyen Âge : documents de 1100 pour l’étude XLIX, de 1171 pour les études CXXII et LXXXII, de 1209 à 1317 pour les études C et XCI, documents de 1423 pour l’étude XCIV, etc., mais la majorité date surtout des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Ce groupe documentaire intitulé «Mélanges» est doté d'un inventaire dactylographié dit «Inventaire des mélanges» suivi d'un index consultable dans sa forme matérielle dans la salle des inventaires et se présente de la manière suivante:

ET/II/960. Dossier Berbier (1477-1699).
(…)
Seigneurie de Brunetel, le Mesnil près Brunetel ; Courcelles près Bar-sur-Aube, Rouvay : ventes, contrats de mariage, reconnaissance de censives, échanges, accord, élection de tuteur et curateur, quittance.
Déclaration d’une rente de 6 livres 5 sols grevant un jardin sis à Mantes, rue Gateville, en raison d’un legs de Jacques Havard, curé de Guernes, aux églises de Saint-Martin de la Garenne et de Guernes (1726).
Bail d’une maison à Limay, rue du Bout-du-Pont (1773).
Contre-lettre d’un pseudo prêt de 10.000 livres (1725).
Pièces concernant Gabriel-Joseph Dubois, maître tailleur d’habits (1773).

etc.

Mais revenons aux dossiers de clients. Comment avaient-ils été constitués ? Comment sont-ils traités aujourd’hui ? Que trouve-t-on aujourd’hui dans ces dossiers ? Comment les communiquer ?

Pour les premiers dossiers de clients, Ernest Coyecque eu une démarche de «bibliothécaire» (il avait en effet commencé sa carrière à la Bibliothèque nationale avant un bref passage aux Archives de la Seine, voir sa notice sur Wikipédia http://fr.wikipedia.org/wiki/Ernest_Coyecque ).
Cette approche volontairement documentaire est à l’origine de cet «Inventaire des mélanges» car tout en travaillant au versement des minutes et répertoires, il a extrait de ces dossiers des documents isolés qu'il considérait comme présentant un intérêt particulier. D'où le nom de «mélanges» donné à l'ensemble ainsi constitué de dossiers anciens (antérieurs aujourd'hui à 1920) et qui renferment des pièces dont l'intérêt documentaire (et non historique, comme on l’entendrait aujourd’hui) a exigé leur conservation au Minutier central des Archives nationales.

Ça c’était le passé. Les dossiers de clients entrés par la suite ont, quant à eux, été partiellement traités (tri sommaire, répertoire et fichier, mise en cartons) de 1976 à 1989 par Hélène Legrand. Et au départ de cet agent, l'opération ayant été arrêtée, les cartons ont été montés dans un grenier puis déposés à Fontainebleau parce qu’au début des années 2000, le grenier du Minutier était dans une situation désastreuse : à l’exception de ceux rangés dans des boîtes Cauchard ou des Dimab, les dossiers de clients étaient entassés dans des cartons de déménagement, souvent éventrés ou dans de grandes caisses en bois à claire voie, il y avait des papiers en vrac partout, des documents dispersés avec de la poussière grasse accumulée sur tout sans compter les indéniables actions de vandalisme (il semblerait, mais aucun des agents actuels du Minutier n'en garde de souvenir, des personnes non identifiées se seraient introduites dans le grenier et avaient coupé les sangles ou les ficelles entourant les liasses, mélangé les dossiers, dispersé les documents pour rechercher…autographes de personnalités, plans et dessins originaux, manuscrits ou timbres !). Dommage que personne n’a songé à prendre des photographies de ce grenier...

La question qu’on est en droit de poser aujourd’hui est quel genre de tri appliquer dorénavant ? et d’abord ces dossiers ont-ils réellement un intérêt historique ?
On le verra dans un prochain billet…