(au crayon sur le dossier :
cette candidature n’est pas sérieuse en ce qui concerne la grande chancellerie)
cette candidature n’est pas sérieuse en ce qui concerne la grande chancellerie)
Dans les dossiers de propositions de la Légion d’honneur que nous sommes en train de classer mon collègue Olivier et moi (voir aussi notre dernier billet sur la Légion d'honneur), un dossier a retenu notre attention : celui de Caroline Chesneau née Demarest, qui sollicite la croix de la Légion d’honneur en récompense de sa conduite pendant la guerre de 1870-1871 où elle s’est blessée au bras à la bataille du Bourget, au plateau d’Avron. Ce dossier est modeste, il ne contient qu’une dizaine de pièces dont de nombreuses suppliques et des lettres de recommandation. Dans sa première lettre du 24 août 1879 adressée de Versailles, sa "ville natale", où elle demeure à la villa des Bruyères, avenue Villeneuve l’Étang, elle affirme que "monsieur Grévy a été vivement intéressé par tous ces détails [les faits de guerre]".
On ne sait pas grand chose de Caroline Chesneau, on sait qu’elle est compositeur de musique et qu’elle est séparée de corps et de biens de son mari qui est employé à la caisse de Compagnie d’assurances " La Renaissance " [en 1879]. Le préfet de Seine-et-Oise appuie sa demande en la qualifiant d’ "honorable" même si " elle est peu connue à Versailles".
Dans une autre lettre de Renaud de Vilbac, grand prix de Rome, datée du 27 décembre 1880, on apprend que Caroline Chesneau "vient de terminer une œuvre musicale en collaboration avec Victor Hugo et dont sujet se rattache à l’inauguration du monument élevé à la mémoire des Français morts en Belgique pendant la guerre".
De nombreuses femmes se sont distinguées pendant la guerre de 1870-1871 mais leurs actes ont toujours été ignorés et Caroline Chesneau en fait partie. Au reste jusqu'au milieu du XIXe siècle, aucune femme ne fut décorée ! Il faut attendre 1851 pour voir Angélique-Marie Duchemin, veuve Brulon, officier militaire aux Invalides, recevoir des mains de Louis-Napoléon Bonaparte, la légion d'honneur en raison de ses services militaires sous la Révolution ! et la première femme officier sera Rosa Bonheur en… 1895 seulement !
C'est après les deux dernières guerres que les femmes ont eu accès à toutes les professions et responsabilités publiques ou privées, et donc leur ont ouvert la voie des décorations. J'y reviendrais lorsque j'évoquerai la sous-série BB/32 et la création de la Médaille de la reconnaissance française, instituée pour récompenser les dévouements exceptionnels des civils face à l’ennemi pendant la guerre de 1914-1918 où de nombreuses femmes ont été décorées. Mais pour en revenir à la Légion d'honneur, j'ai trouvé sur la toile quelques chiffres qui en disent long sur la proportion de femmes décorées depuis 1890 :
1980, total des nommés et promus civils 1514 203 dont 13.4% de femmes
1990, total des nommés et promus civils 1441 172 dont 11.9% de femmes
1995, total des nommés et promus civils 1464 172 dont 11.7% de femmes
1996, total des nommés et promus civils 1550 288 dont 18.6% de femmes
1997, total des nommés et promus civils 2045 397 dont 19.4% de femmes
1998, total des nommés et promus civils 2016 406 dont 20.1% de femmes
1999, total des nommés et promus civils 2080 545 dont 26.2% de femmes
2000, total des nommés et promus civils 2010 481 dont 23.9% de femmes
1990, total des nommés et promus civils 1441 172 dont 11.9% de femmes
1995, total des nommés et promus civils 1464 172 dont 11.7% de femmes
1996, total des nommés et promus civils 1550 288 dont 18.6% de femmes
1997, total des nommés et promus civils 2045 397 dont 19.4% de femmes
1998, total des nommés et promus civils 2016 406 dont 20.1% de femmes
1999, total des nommés et promus civils 2080 545 dont 26.2% de femmes
2000, total des nommés et promus civils 2010 481 dont 23.9% de femmes
Pour en revenir à Caroline Chesneau, au crayon, sur la page de garde de son dossier, une petite griffe indique "cette candidature n’est pas sérieuse en ce qui concerne la grande chancellerie", sans commentaire (!).
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