mercredi 2 janvier 2008

Séquestration d'un inventeur

(dossier 2569 A 86 du 1er bureau de la Division des affaires
criminelles et des grâces, BB/18
)


On sait que le XIXe siècle créa de vastes maisons d'internement et que plus d'un habitant sur cent de la ville de Paris s'y est trouvé, en quelques mois, enfermé, et très souvent d'une manière arbitraire. On sait moins bien quelle conscience juridique pouvait animer ces pratiques.

Celui qui a lu Michel Foucault dans Histoire de la folie (Gallimard, 1972) ne pourra pas rester insensible à cette folle histoire que j'ai trouvé en BB/18/1807, dossier 2569 A86.

C'est au hasard d'une banale demande d'assistance judiciaire refusée à nommé Cantin, demeurant au 52 rue de Clichy, en septembre 1886 que l'histoire commence.

Alexandre Cantin, inventeur mécanicien, natif de Saint-Michel en Savoie porte plainte contre les administrations de la Société des perforations à qui il reproche de n'avoir pas honoré la somme de 50 000 francs pour un brevet de perforateur rotatif très sophistiqué en usage dans diverses industries et notamment dans les mines, dont il serait l'auteur (dossier ouvert au civil numéro 241 B87).
Inventeur en manque d'argent, Cantin s'adresse donc à des intermédiaires qui trouvent l'argent et exploitent l'invention de compte à demi avec lui. C'est une démarche classique, bien que, très souvent, l'inventeur est, en fin de compte, le plus exploité. Ce fut le cas de Cantin. Les statuts de son brevet furent déposés chez maître Pinguet, notaire, rue des Pyramides, le 5 avril 1883 (étude LXXIX).
Mais Paul et Mathiessen, associés de Cantin, n'étaient pas des investisseurs sérieux et la Société ne put être constituée légalement faute du versement du quart du capital et après l'entrée en scène d'un certain Braggiotti, de Londres, qui se contenta de délivrer un faux chèque et de donner une fausse adresse, la Société fut dissoute par décision prise en assemblée générale le 17 novembre 1883.

Toutefois, comme les commandes arrivaient de tous côtés, Cantin eut l'imprudence de continuer l'exploitation et évidemment se vit frustré des bénéfices qu'il devait légitimement retirer de son invention (la société ayant été dissoute). Il protesta donc avec la plus vive indignation prétendant qu'il n'avait rien cédé et accusant ses anciens associés de l'avoir dépouillé, d'avoir commis des faux, etc., etc.

Qu'advint-il ensuite ? d'innombrables procès s'en suivirent et on essaya de faire passer Cantin pour fou. En 1892 une commission d'aliénistes fut nommée pour l'examiner et conclut que Cantin était parfaitement sain d'esprit et même "exceptionnellement intelligent" (!) mais traqué de tous côtés par ses adversaires, une nouvelle commission présidée par le docteur Garnier le déclara fou. Il fut arrêté le 17 mai à sept et demie du matin à son domicile par deux agents de la Sûreté et interné à Sainte-Anne d'abord, à Villejuif ensuite.

Artaud (ça ne s'invente pas !), son logeur, affirme aux inspecteurs qu'il est "absolument convaincu [que] Cantin est victime d'une vengeance mystérieuse et qu'en aucun cas, le malheureux inventeur [n'] est fou".

En effet, après inspection, il appert qu'en réalité les agents étaient porteurs d'un mandat seul, signé par le juge d'instruction, mais parce que Cantin était "sourd comme un pot" et qu'il "s'exprimait avec difficulté" (originaire de la Savoie toute récemment annexée à la France) et "[éprouvant] de la difficulté à écrire correctement", il se fit très violent envers ceux-ci et donc fut immédiatement écroué puis interné.

Ce n'est que par la décision du 5 novembre 1897 que le tribunal de Chambéry ordonna la sortie de Cantin de l'asile des fous. Il avait alors 63 ans et demanda alors une assistance judiciaire... qui lui fut refusée…

2 commentaires:

Jean Pierre J. a dit…

Ca me rappelle une histoire plus récente (années 1970) où deux frères ont été internés pendant trois mois à la demande du préfet...L'un d'entre eux avait fondé une communauté religieuse non reconnue et plutôt traditionaliste qui animait joyeusement la vie d'un chef lieu de canton d'un département du Sud Ouest, ce qui déplaisait aux barons locaux en place aux idées bien différentes. Diverses personnalités sont intervenues en leur faveur et oh miracle, ils sont sortis.
L'internement administratif a toujours été largement utilisé pour tenter de se dégager de situations embarassantes

Merci de vos voeux, cher Danis; vos promenades dans le passé sont toujours inattendues et vous m'entrainez sur des chemins difficiles à emprunter sans guide.

Anonyme a dit…

Merci Jean-Pierre de ce complément d'information.
C'est vrai que l'aliénation est un sujet de fascination.

Bien cordialement et merci de vos compliments.

Le meilleur pour vous.

Danis