mardi 17 juin 2008

Les rapports de gendarmerie et de procureurs généraux au XIXe siècle


Dans le mélodrame du mélomane (lire ce billet), j’avais indiqué la présence dans la sous-série BB/18 de rapports rédigés par la gendarmerie et par les procureurs généraux sur les crimes commis, ainsi que sur les incendies déclarés dans leur ressort respectif entre 1891 et 1914 éparpillés dans les articles BB/18/1836 et suivants (jusqu’à l’article 2530/2).

L’argument de la rédaction de cet instrument de recherche repose sur un constat simple : lorsque pour son domaine de recherche, le spécialiste de l’archive judiciaire, ayant épuisé toutes les sources mises à sa disposition, sera tenté de prospecter vers d’autres fonds, son centre d’intérêt se portera progressivement vers des ensembles documentaires non encore inventoriés et susceptibles, selon lui, de lui apporter de nouvelles informations. L’absence d’inventaires appropriés et détaillés ne découragera nullement ce spécialiste, qui pourra dépouiller, pour autant que le temps lui permette, un ensemble de documents de plus en plus précis afin de repérer rapidement l’élément qui lui sera nécessaire pour son sujet de recherche. Les rapports contenus dans les cartons BB/18 précités en font partie. De fait, la nécessité et le souci d’en préserver la conservation et d’éviter les communications inutiles en salle de lecture ont été l’argument principal pour l’élaboration de cet inventaire. Pour autant, l’intérêt historique de ce groupe documentaire n’est pas à négliger eu égard à la pertinence des informations contenues dans ces rapports.

Pour l’étude des archives

Cette masse de rapports de 1891 à 1914 complète et prolonge d’autres fonds : les registres des enregistrements des crimes et délits conservés aux Archives départementales ignorent souvent les affaires classées sans suite pour cause d’auteur inconnu ou en fuite ou décédé ou encore suicidé, etc., et peuvent être ainsi complétés par ce groupe documentaire. De même que les rapports (et les procès-verbaux) de gendarmerie des séries M (administration générale et économie), U (Justice) et Z (sous-préfectures) trouveront un écho à ceux analysés dans cet inventaire.

Aux Arch. nat. (site de Paris), les sous-séries F/7 (Police générale), BB/18/6048 et 6049 (incidents auxquels se trouvent mêlés des gendarmes, [1864]-1930)), BB/18/6586 et 6587 (rapports de la gendarmerie avec les parquets, [1820]-1930), BB/19/7, 8, 29-36 (incendies en 1846), BB/30/258 (incendies en 1822-1823) et BB/30/947-949 (rapports des PG sur les délits anarchistes en 1895), etc., devront absolument être compétées par les rapports de cet inventaire.

Pour l’étude de la procédure criminelle

Le code d’instruction criminelle de 1808 (par rapport à celui de 1791) se distingue par sa sévérité à l’égard de la personne poursuivie. La détention « préventive » de celle-ci, selon les termes de ce code, pouvait être illimitée jusqu’à la fin du procès. La loi du 14 juillet 1865 élargit quelque peu le champ de la liberté provisoire. Mais il a fallu attendre la promulgation de la célèbre loi du 8 décembre 1897 (bulletin des lois, partie principale, 2e semestre de 1897, 12e série, tome 55, pages 1777-1779) dite loi Constans, pour qu’un défenseur puisse assister son client lors des interrogatoires, et ce, dès sa première comparution devant le juge d’instruction. Cette loi renforça également les formalités à remplir au cours de l’instruction. Cependant, si les droits de la personne poursuivie furent renforcées, les initiatives procédurales de cette loi bouleversèrent le rôle du ministère public et des problèmes liés à l’application de cette loi commencèrent à se faire sentir. En effet, les juges d’instruction, pour éviter la présence de l’avocat, mettent en cause les insuffisances de la loi et multiplient les interventions auprès de la Chancellerie, à effet, sinon de la réformer, du moins d’y apporter des modifications. Les cartons BB/18/2108 et suivants (voir également dans BB/18/6153/1), illustrent les problèmes posés par l’application de cette loi du 8 décembre 1897 souvent évoquée mais rarement étudiée.

Pour l’étude des crimes

Les rapports de la gendarmerie (beaucoup plus que ceux des PG), par le détail des renseignements (sur les auteurs des crimes, sur les victimes, sur leurs activités respectives, sur les lieux géographiques, etc.) fourniront une donnée très précise ou compléteront une monographie d’un crime. Certes, il ne s’agit pas d’y trouver de l’extraordinaire comme dans les dossiers de procédure, mais plus pragmatiquement une analyse synthétique susceptible d’éclairer une lecture du crime par le tragique, par le sordide (viols d’enfants, infanticide) ou par le macabre (découverte de cadavre), etc. Les études générales d’un type de crime (parricide, infanticide, etc.) ou l’étude de type de déviance (attentats à la pudeur, crimes passionnels, etc.), ainsi que l’étude des catégories de criminels liée à leur « spécificité » (femmes=infanticides, avortement ; hommes=viols ; ouvriers=rixes, violences familiales, etc.) pourront être complétés par ces rapports. Les troubles dans des lieux publics, les rixes sanglantes ou non, les charivaris, les attaques de courriers publiques ou de voitures particulières, le banditisme, les attentats anarchistes, les incidents survenants dans des lieux sacrés, des délits commis par des braconniers, la fabrication et l’émission de fausse monnaie, etc., peuvent donner lieux à de passionnantes analyses sur les facteurs de la criminalité (éléments à compléter évidemment par des sources des Archives départementales).

Pour l’étude des incendiaires et des conséquences des incendies

Si de rapports similaires se trouvent dans les cartons BB/19/7, 8, 29-36 (incendies en 1846), BB/30/258 (incendies en 1822-1823), ceux de la gendarmerie ainsi que ceux des PG (dans une moindre mesure) analysés ici donneront des renseignements très utiles sur les victimes, sur les assurances, sur les activités respectives, sur les lieux géographiques, etc. Ils fourniront également un apport non négligeable pour l’histoire de l’environnement (incendies des forêts par exemple) ou pour l’histoire des assurances.

Pour l’histoire locale

L’intérêt des documents de ce groupe documentaire dépasse largement le cadre de l’histoire judiciaire «spécialisée» puisque des chercheurs «pluridisciplinaires», s’intéressant à toute type d’archive pourvu qu’ils dénichent le nom d’une «personnalité» locale ou un fait divers ayant pour cadre leur commune, y trouveront des pistes singulières pour la rédaction de leurs monographies territoriales ou pour compléter leur généalogie.

Enfin, on notera l’intérêt de ces documents pour l’étude des pillages commis par des indigènes en Algérie ou celle du banditisme en Corse (documentation plus fragmentaire à compléter par d’autres sources).

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