jeudi 27 décembre 2007

Des lettres anonymes aux Archives


Après les plumes de pigeons, le poignard, la pantoufle et le crâne trouvés dans des cartons d'archives (voir ces anciens billets) voici plus modestement des lettres anonymes d'une affaire pour laquelle nous avons identifié les pièces à conviction au regard du dossier d’instruction (conservé dans la sous-série Z/3/65, dossier 7). Ces billets anonymes ont été (d'après l'instruction) envoyés par un nommé Antoine Pignard-Duplessis, diacre d’office à Saint-Gervais de Paris...

Plusieurs billets anonymes avaient été trouvés dans l’église Saint-Gervais contre le premier vicaire Destrevaux et les deux sacristains Huré et Pluyette ; l’un d’eux était ainsi rédigé : "On recommande à vos prières trois filoux qui soulèvent tout l’argent du bon curé Veytard. Ces quatre filoux sont Destrevaux vicaire, Pluyette sacristain de la petite sacristie, Huré sacristain de la grande sacristie."

En janvier 1787, le curé les remit à deux experts en écriture qui conclurent, pièces de comparaison à l’appui, que l’auteur des billets était un certain Antoine Pignard-Duplessis, diacre d’office à Saint-Gervais. L’affaire resta sans suite jusqu’à la fin de septembre 1787 où Pignard-Duplessis fut convoqué par l’archevêque qui lui signifia l’ordre de quitter Saint-Gervais pour mettre fin au scandale que suscitaient ces billets anonymes dans la paroisse et la communauté des prêtres. Pignard-Duplessis jura qu’il n’en était pas l’auteur.


(Mots croisés sur Detrevaux qui devient
tour à tour Délateur et Dupeur,
Envieux, Trompeur, etc.)

Mais deux nouvelles lettres anonymes du 16 février 1789, injurieuses contre Veytard et Detrevaux, suscita une autre expertise en écriture qui reconnut également Pignard-Duplessis comme l’auteur de la lettre. Bien qu’il semble avoir été soutenu par les marguilliers, Pignard-Duplessis fut destitué de sa place de diacre d’office en juin 1789 ; il porta plainte alors au Châtelet contre le curé et le vicaire le 2 juillet 1789.

Une information fut faite au Châtelet en décembre 1789 avec une troisième expertise qui concluait comme les précédentes que le plaignant était l’auteur des billets et de la lettre anonymes. Le procès auquel donna lieu l’affaire fut instruit d’abord au Châtelet, puis poursuivi au 4e tribunal criminel provisoire de Paris.

Mais, entre-temps la Révolution avait éclaté. Pignard-Duplessis se fit remarquer comme aumônier d’un bataillon de la garde nationale et fut élu électeur du département de Paris de 1790 à 1792. Il prêta serment en janvier 1791 et se déprêtrisa dès 1792 .

De son côté, Veytard avait été élu député du clergé de Paris aux États généraux ; effrayé par la tournure des événements, il cessa d’assister au séances de l’Assemblée constituante à l’automne 1789, ne jura pas et émigra en Belgique dès janvier 1791.

Le Châtelet ayant été supprimé, l’affaire Pignard-Duplessis fut renvoyée à l’un des tribunaux criminels provisoires de Paris qui annula la procédure du Châtelet pour vice de forme en octobre 1791 et recommença l’information en février 1792. Cette fois, les deux experts commis d’office affirmèrent que les écrits anonymes n’étaient pas de la main de Pignard-Duplessis ; celui-ci fut donc déchargé de l’accusation le 27 mars 1792 (Z/3/60, jugement du 27 mars 1792).

Les Archives nationales regorgent de pièces insoupçonnées. Comme le suggère justement mon collègue Pierre B., étant donné la multiplicité des questions que soulève la présence de ces pièces à convictions, nous tenons à dire que celles-ci sont en quelque sorte orphelines et attendent leur historien. Derrière ces objets il y a des textes qui en disent long sur les êtres auxquels ils ont appartenu. Parvenir à établir un lien entre ces objets et ces textes est un exercice délicat, parfois impossible. En leur donnant la parole, en les sortant de leur boîte, nous tenterons de les faire revivre et leur donner leur sens plein au sein d’un système judiciaire complexe dont nous avons entre les mains, au delà des objets, un pan entier de la vie privée des femmes et des hommes de la fin du XVIIIe siècle à Paris. Sachons les faire parler !

4 commentaires:

Jean Pierre J. a dit…

Merci, cher Danis de livrer à notre curiosité sans limites de tels documents...

Ainsi, en 1787, existaient déjà des experts en écriture pour identifier des auteurs de lettres anonymes. A t'on conservé la mémoire de ces experts et la façon dont ils rendaient compte de leur expertise ?

Savoureuse cette histoire de prêtres qui se déchirent la soutane...

DA a dit…

Merci Jean-Pierre de s'intéresser aux soutanes des prêtres qui, au fond, sont comme des gamins dans une cour de récréation : ils ne se sont guère de cadeaux entre eux ! (même à la Noël).

Les mémoires de l'expertise sur l'écritre de Duplessis ont été effectivement conservés, mais non pas en Z/6 mais dans le fond du Châtelet (puisque l'affaire y avait été instruite avant sa suppression en '91).

Bonne année Jean-Pierre et continuez à nous faire rêver de vos ballades naturelles avec tantôt une loupe tantôt des jumelles...

D.

Anonyme a dit…

Psssit monsieur l'archiviste,

Ceci est un billet anonyme pour vous souhaiter une bonne année mais ... chut ! N'en disons pas plus sous peine d'être découverts.

Ah si ! les bisous de l'an sont prêts à vous parvenir dans un deuxième billet anonyme que vous recevrez sous peu.

Anonyme a dit…

Comme c'est gentil chère madame nourrie au lait d'anesse (le meilleur au monde paraît-il).
Je suis très touché par votre mot anonyme et j'attends avec impatience votre deuxième missive.

Douce année à toi et à toute la famille chère Agathine.