mercredi 5 juin 2013

Les placards de décès du Minutier central des notaires de Paris

Exemple d'un placard de décès

Le département du Minutier central des notaires de Paris procède en ce moment à la numérisation des placards de décès afin de les rendre accessibles en ligne. L’occasion pour moi de reprendre un ancien article de mon collègue Thierry Boudignon, avec son aimable autorisation va sans dire… un grand merci à lui.

Dans le temps, à Paris, on affichait (ou placardait) sur les murs des églises et dans les rues, des avis d'inhumation  pour inviter Messieurs et Dames à s'y trouver s'il leur plaist.
 
Ces placards sont, en général, rédigés de la façon suivante (voir l’image au-dessus):

Vous êtes priés d'assister au Convoy et Enterrement de feu Me THOMAS-SIMON PERRET, Conseiller du Roy, Notaire au Châtelet de Paris, Syndic de sa Compagnie, décédé en sa Maison, rue Coquillière; Qui se fera cejourd'hui Vendredi 12 Janvier 1753 à six heures du soir, en l'Eglise de Saint Eustache, sa Paroisse, où il sera inhumé.Un De profundis.

Ou encore cette curieuse cohabitation entre la "paroisse" et la "République Française":

Vous êtes priés d'assister aux Convoi et Enterrement de la Citoyenne Marie Anne LENGLET, Veuve du Citoyen Etienne-Pierre BOURSIER, ancien Marchand, décédée en sa Maison, Rue du Roule; Que l'on fera cejourd'hui Mardi 19 Mars 1793, l'an deuxième de la République Française, à quatre heures du soir, en l'Eglise de Saint Germain-l'Auxerrois, sa Paroisse.
DE PROFUNDIS. De la part des Citoyens ses Fils, des Citoyennes ses Brues, des Citoyens et Citoyennes ses Petits-Fils et Petites-Filles…

Plus tard, ces placards ont été utilisés à envelopper les liasses des minutes en raison de l'excellente qualité du papier. C'est cette collection factice de placards de décès qui a été constituée au cours des classements par prélèvement dans les fonds des études notariales aux Archives nationales.
On notera qu’on trouvera également des faire-part mortuaires en AD/XXJc/96 à 120 aux Archives nationales et en V.7 E aux Archives de Paris (et plus généralement en série J aux Archives départementales).

Ces placards indiquent le nom de la personne décédée, ses titres, profession et autres qualités (par exemple: marguillier de sa paroisse), le lieu de son décès, le jour, l'heure et le lieu de l'enterrement, c'est à dire le plus souvent sa paroisse.
De plus, et c'est ce qui en fait tout l'intérêt de ces placards, ils sont ornés d'une vignette ou lettrine. Ces gravures sur bois, sans prétention artistique particulière, représentent la mort de façon imagée.
Si ces placards concernent par nature une personne précise, les lettrines sont d'un usage plus général. On trouve la même lettrine sur des placards différents. Celles-ci ne sont pourtant pas uniformes et présentent une certaine variété. Existe-t-il une relation entre la qualité des personnes et l'image choisie? Thierry Boudignon ne semble pas convaincu.

À partir de cette collection de 7000 documents environ, on peut dégager quelques grands types de figuration de la mort et de montrer d'éventuels rapports entre elles.
Les premiers placards remontent au règne de Louis XIII. D’abord de petite taille, à peu près analogues à de simples faire-part, et sans ornementation, ils prennent leurs dimensions moyennes actuelles (50 cm x 40 cm) au début du règne de Louis XIV. On voit alors apparaître les premières lettrines et vers la fin du XVIIe siècle, les vignettes se diversifient.
La Révolution les fera disparaître dans le courant 1793 et s'ils réapparaissent sous l'Empire, c'est avec une iconographie bien différente. Il s'agit principalement de bourgeois: bourgeois de Paris, Marchand, officiers au Parlement ou au Châtelet de Paris, etc.
Mais bientôt, la figuration évolue et se complique. Les vignettes nous montrent alors de véritables petites scènes telles que la résurrection des morts, une danse macabre ou, comme dans celle-ci, une confrontation dramatique avec la Mort qui vient troubler une méditation à la lueur d'une bougie (1764).
 

 
On avait aussi l'habitude de représenter ces mausolées, comme d'autres images, d'une certaine manière et avec un certain sens de l'esthétique sans qu'on y mette une signification précise et voulue. Ici, ces triangles sont l'image stylisée de supports surmontés d'une urne, objets que nous retrouvons souvent dans d'autres vignettes. À leur place, nous avons vu également des squelettes mais aussi des cierges tout simplement. Pour ce qui est de la forme, des divisions du triangle, du nombre de larmes etc., il existe de nombreuses variantes.

Voici une autre représentation où le nombre de larmes et de boules est différent. On notera surtout la présence d'un cadre qui entoure la vignette. Cette bordure est composée de feuillages mais les éléments traditionnels, larmes, têtes de mort et os entrecroisés peuvent également y figurer. Quelquefois tous ces éléments sont mélangés et forment un ensemble très varié. Le mausolée est aussi présent. Les origines de ce tableau ont été étudiées ici même.


 
Sa description est la suivante: A l'occident sera placé sur le mur ou en relief un Mausolée consistant en une urne sépulchrale posée sur une base triangulaire à trois faces. Dans chaque triangle il y aura trois boules, dans les trois angles, au dessous du triangle, reposant sur des ossements; de l'urne sortira une vapeur enflammée, avec l'inscription: Deponit aliena, ascendit unus. Au dessous, dans le triangle, on lira ces mots: Tria formant, Novem dissolvunt.
 

Dans cette vignette des années 1770/1780, le mausolée, au centre de l'image, est surmonté d'un triangle. On note, pour mémoire, la présence de la tête de mort et des os. On remarque aussi l'urne tenue par une femme. Le mausolée est placé dans un édifice éclairé par des fenêtres et soutenu par des colonnes ce qui suggère l'intérieur d'une église, autrement dit un temple. C'est au centre du temple, de la Maison, que la mort se transforme en résurrection.

Il faut souligner ici le fait que ces vignettes contiennent assez peu de références directes au christianisme. Le seul symbole parfois utilisé est la croix. Sans doute ces placards expriment-ils l'aspect social de la mort et non son aspect proprement religieux. Il y a là une distinction que la franc-maçonnerie, institution sociale s'il en est, semble avoir respecté. Si la franc-maçonnerie est d'inspiration religieuse, elle n'est pas une religion. Nous avons tout de même trouvé quelques vignettes ayant une thématique purement chrétienne.


En voici une de 1766, une illustration de Jn, 12, 24. Avant la Passion, à son entrée à Jérusalem, Jésus annonce sa glorification par sa mort en disant: Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul; s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. Sur la vignette on voit un semeur et cette inscription: Si le grain n'est mis en terre il ne peut porter de fruit. La mort est présentée ici comme le passage vers la vraie vie.


Celle-ci, de 1760, représente le Christ au moment de la résurrection avec cette inscription: La foy des vivons l'espérance des morts. On voit le Christ qui sort victorieux du tombeau. Celui-ci est ouvert, la pierre tombale, qui est de côté, porte la mention: Non est hic, Il n'est plus ici. Un ange est près du tombeau tandis qu'un soldat s'enfuit en jetant son épée. Cette figure montrant le moment même de la résurrection est aussi l'objet de nombreux tableaux maçonniques.


La dernière vignette nous montre le Christ ressuscité veillant un cadavre placé dans un linceul quasi identique au drap (...) traversé d'une grande croix qui le recouvre...

De milliers d'autres vignettes sont en cours de dématérialisation et d’analyse sommaire (noms, lieu, dimensions, etc.). Attendons donc la fin de cette opération et de leur mise ligne sur le site des Archives nationales pour les étudier enfin.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,
Je me demandais si les placards à décès n'étaient pas aussi des messages de la part de ceux qui les faisaient rédiger. En effet le placard à décès (si le grain n'est mis en terre il ne peut porter de fruit) que vous commentez concerne la mère de Guy Jean-Baptiste Target, personnage à multiples facettes très influent, qui a par ailleurs oeuvré et écrit sur l'agriculture...la date de décès de celle-ci est proche de

diane a dit…

proche de ? 1766, l'enterrement de dame Gohier d'Armenon était vendredi 6 juin à 6 heures du soir ?
Oui, message, GJB était aussi propriétaire de fermes aux Molières, où le grain était récolté, à quelques lieues de Paris.

diane a dit…

ce n'est pas la parabole du semeur plutôt qui est illustrée là ?

Assy a dit…

oui, cela semble être la parabole du semeur : bonnes graines, mauvaises graines...nécessité de chaleur, de soleil, d'eau. Bien vu.