lundi 2 février 2009

L'enquête du Régent (1716-1718)


L'Enquête du Régent (1716-1718).
Sciences, techniques et politique dans la France pré-industrielle
par Christiane Demeulenaere-Douyère
et David.
J.
éditions Sturdy, Brépols, 2008


Voici un ouvrage remarquable que j'avais reçu en dépôt pour la salle des inventaires de la section du XIXe siècle. Je l'avais alors rangé non sans avoir informé mes collègues de sa parution...

L'affaire aurait pu en rester là si je n'avais pas assisté à une journée d'études organisée par la Société des élèves et amis du Centre en Histoire des techniques du Conservatoire des Arts et Métiers (SeaCDHTE) le 20 janvier dernier pour la présentation du numéro 16 de leur revue Documents pour l'histoire des techniques nouvellement parue. Etait invité Bruno Belhoste pour «les sources, les nouvelles approches et les nouveaux outils de recherche sur les archives des Mines». Je rédige en ce moment un nouvel instrument de recherche sur le Conseil général des Mines (lire ce billet) et j'avais juste l'intention de l'écouter et de prendre ensuite la poudre d'escampette.

Mais il se trouve que celui-ci arriva en retard et on pria madame Christiane Demeulenaere-Douyère (l'un des auteurs avec David J. Sturdy) de présenter son ouvrage L'enquête du Régent…et j'avoue ne pas avoir regretté le voyage dans cette France pré-industrielle du XVIIIe siècle que nous a présenté Christiane Demeulenaere-Douyère d'une manière vivante et intelligente.

Alors responsable des archives de l'Académie des sciences, elle avait découvert dans la masse de correspondances et de mémoires trois cartons d'archives de cette enquête, commanditée par Philippe d'Orléans, et qui sont restés longtemps presque inconnus des historiens. Pourtant, d'après elle, cette enquête "constitue une source de première importance pour l'histoire économique et sociale de la France au début du XVIIIe siècle", et aussi l'histoire générale de la Régence. Elle concerne aussi l'histoire des sciences et des techniques, l'histoire administrative, l'histoire du langage et bien d'autres domaines. Ces documents sont donc présentés ici pour la première fois dans une édition critique, qui permet aux chercheurs de mieux connaître l'état de la France.

Cette enquête réunit trois acteurs majeurs : Philippe d'Orléans, Régent de France (j'ai découvert qu'il avait une formation scientifique, étant élève du chimiste Homberg), l'abbé Jean-Paul Bignon (conseiller personnel du Régent et l'un des réformateurs de l'Académie des sciences) et René-Antoine Ferchault de Réaumur qu'on ne présente plus puisqu'il a donné son nom à une rue de Paris (il a été naturaliste, mathématicien, physicien, chimiste et pensionnaire mécanicien de l'Académie des sciences entre autres). On n'oubliera pas non plus le travail des intendants, véritables chevilles ouvrières de cette enquête (qui s'ajoute à leurs autres tâches administratives) ainsi qu'une une chaîne interactive d'informateurs de toute nature : les subdélégués des intendants des provinces, les ingénieurs du roi, les particuliers: propriétaires, exploitants de mines, mineurs, prêtres, les sociétés savantes, soit des centaines d'acteurs sur le terrain. Cette enquête s'est construite graduellement et avec une efficacité redoutable puisque après l'élaboration du questionnaire préalable d'enquête vers la fin 1715 par Bignon et Réaumur, on a compilé toute une documentation sur l'inventaire des savoir-faire techniques, les connaissances scientifiques et les ressources naturelles de la France (l'ensemble du royaume est concerné sauf Paris).

Mémoires et correspondances, réunis par généralités, décrivent les ressources minérales, les mines, l'industrie métallurgique puisqu'il faut, d'après le questionnaire d'enquête, «remarquer soigneusement, les marbres et les autres pierres extraordinaires qui peuvent servir à l'ornement des édifices…, les pierres estimables ou par leurs propriétéz ou par leur couleur et leur beauté, tels que sont les jaspes, les cristaux, les pierres prétieuses de toutes espèces, les talcs même, l'aimant, etc., les minéraux. Si on les néglige dans le païs, il suffira d'en envoyer des échantillons… Si on y travaille, il faudra en observer la profondeur, ce qui y incommode les ouvriers et de quelle manière on y remédie, comment ils détachent la matière minérale, la préparation de la même matière…, etc.».

C'est ainsi que parviennent à l'Académie des sciences des centaines d'échantillons qui vont être analysés et titrés dans son laboratoire…

Quels sont les résultats de cette enquête? On a réuni une masse considérable de documentation d'un intérêt historique majeur sur les mines et carrières, sur la «condition ouvrière» (avec des gros guillemets pour cet anachronisme délibéré), les lieux d'extraction et de transformation des minerais (fonderies, forges…), sur la recherche et la transformation, du charbon, du plomb de l'alun, du jayet (on écrit aussi «jais»), du cobalt, etc., des métaux précieux (or, argent…), la verrerie (de Cherbourg notamment), l'industrie du luxe (dentelles et «points de France», etc.) avec quelques silences sur l'agriculture et l'élevage ainsi que le commerce (sauf pour les textiles). On remarquera aussi que cette enquête met en valeur le rôle novateur du dessin dans la constitution d'un savoir administratif (l'ouvrage contient de nombreuses reproductions de mines, carrières, fonderies, forges, etc.).

Pour finir, voici un petit extrait de cette enquête. Nous sommes en 1716, dans le pays de Foix, dans la généralité de Montauban pour être précis, on décrit les «plantes et les simples» (pages 588-589) :

«à sept ou huit lieues de Villefranche de Rouergue, il y a une espèce de melampirum qu'on vu décrit que dans Dominicus Cabreus [il s'agit d'un traité de botanique] sous le nom de melampirum pururo vilolaceum qui est d'une beauté surprenante. Aux environs de la même ville, on voit l'absynthium montanum flore camimeli. Cette plante qui est très rare, paroit mal nomée et selon les principes de M. de Tournefort, on pouroit la ranger sous le nom de chamemelum montanum fruistescens absynthii solio (…). Les montagnes, en beaucoup d'endroits, sont chargées de plantes et de vulnéraires que les médecins et les habitans du païs estiment autant que celles de Suisse (…) et il y a grande abondance de simples que l'on y vient chercher de Montpellier».

Véritable régal de lecture d'un bout à l'autre !
Cette édition critique de l'enquête du Régent à sa place dans toutes les bibliothèques !

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