mercredi 9 janvier 2008

Tous les matins


Cloué au lit par une grippe intestinale hier toute la journée, j'avais mis sur ma chaîne la Missa Brevis TWV 9:14 de Telemann. Une merveille. Une Missa Brevis c'est d'abord le Kyrie, puis le Gloria, le Sanctus, le Benedictus et enfin l'Agnus Dei. Celle de Telemann me touche beaucoup, elle avait bercé mon adolescence comme d'autres l'ont été par la BO de Tous les Matins du Monde toute leur enfance.

J'avais enregistré ma Missa Brevis sur K7 audio (et oui, ça date!) et donc en analogique, j'avais juste noté Missa Brevis 9:14 sur la jaquette sans plus de précision et j'ignore par conséquent les interprètes. Tout y est majestueux, depuis Le Kyrie jusqu'à l'Agnus Dei et le lamento de la lettre "A"…pour dire le simple "Amen", notre contre-ténor n'en finit pas de tirer et jouer sur la vocalise du A pour enfin réussir à prononcer "Amen" de la fin ! On reste donc en suspens pendant de longues minutes. C'est une messe assez brève à solo avec basson, deux violons, violoncelle et continuo…J'aimerai bien la retrouver en numérique un de ces jours.

lundi 7 janvier 2008

L'Auberge rouge: le dossier


Reclasser et inventorier la sous-série BB/20 Comptes-rendus des cours d'assises puis dans la foulée élaborer un inventaire-index des dossiers des condamnés à mort de 1826 à 1910 en BB/24/2001-2122 ne laisse pas indifférent. Ce que j'ai fait pourtant entre 1994 et 1998 et combien de fois, en consultant ces dossiers, je me suis dis in petto que tel condamné à mort puis exécuté a sûrement été victime d'une erreur judiciaire tant la justice était expéditive au XIXe siècle et que le juge, dans sa délicate mission de dire le droit, aurait pu se tromper ? (notez au passage qu'on dit "erreur judiciaire" et non pas "erreur du juge" !).

Je me suis donc souvent demandé qui réparait, en fin de compte, les erreurs judiciaires commises alors ?

Le XIXe siècle avait pourtant vu la naissance de la "criminalistique", cette expertise confiée à des "hommes de l’art" (experts en écritures, médecins en tout genre, aliénistes, psychiatres ou psychologues) qui examinaient pèle mêle des documents, des patients, des cadavres, etc., afin d'évaluer la responsabilité des criminels fous, pour retrouver les faits d’empoisonnement par des techniques de plus en plus sophistiquées de la pratique de l’autopsie, etc. C'est qu'on appelle aujourd'hui la "médecine légale"…mais, hélas, cet expert ne donne qu’un avis au juge qui, seul, annoncera le verdict : le couperet, le bagne ou la perpétuité…

Pierre Martin, Marie Breysse et Jean Rochette ont-ils été guillotinés par erreur en 1833 ?

Rappel de l'affaire : en travaillant sur BB/20, j'avais entièrement lu le compte-rendu de la cour d’assises de l’Ardèche du 6 juin 1833 sur Pierre Martin, sa femme Marie Breysse, leur domestique Jean Rochette guillotinés le 2 octobre 1833 comme coupables de la mort d'un nommé Enjolras commis le 26 octobre 1831 à l’auberge de Peyrebeille en Ardèche (on les avait également accusés d'avoir assassiné, découpé puis brûlé cinquante de leurs clients !). Leur pourvoi en appel avait été rejeté et Louis-Philippe leur a également refusé la grâce royale en août. Le procès a donc été extrêmement expéditif !

Dans cet excellent ouvrage publié par le CNRS, Thierry Boudignon ne se contente pas de faire revivre cette affaire (qui en fin de compte va déboucher sur "la légende de l’Auberge Rouge" inspirant depuis plus de 150 ans des dizaines de romanciers, d’historiens et des cinéastes qui ont transformé ce drame en comédie comme celle mise en scène par Claude Autant-Lara en 1951), mais il questionne aussi notre rapport au crime et à la justice de l'époque. Il a exploité des documents inédits : archives départementales (série U entres autres) et des Archives nationales (sous-séries BB/20 et BB/24) pour analyser toutes les procédures de l'instruction qui a duré près de 25 mois pour le dénouement que nous connaissons. Alors coupables ou victimes d'une erreur judiciaire ?

J'ai vraiment beaucoup aimé L'Auberge rouge: le dossier par Thierry Boudignon.

À lire à la campagne, dans une ferme, près d'une cheminée, un jour de neige, et tout seul…

samedi 5 janvier 2008

Le musée des Arts Décoratifs à Paris


Un lieu magnifique à découvrir ! Créés en 1882 dans le sillage des Expositions universelles par des collectionneurs soucieux de valoriser les "beaux-arts appliqués" et de comprendre les liens entre industrie et iconographie documentaire, ce qu'on appela alors Les Arts Décoratifs furent longtemps connus sous la dénomination de l'Union centrale des arts décoratifs. Mais depuis 2005 la conservation et la diffusion de leurs collections ont été modernisées. Ils sont aujourd'hui implantés à Paris au 107 rue de Rivoli, accostés au palais du Louvre et abritent, y compris le musée des Arts décoratifs, le musée de la Mode et du Textile et le musée de la Publicité. Ils conservent plus de 400000 chefs-œuvres. Un lieu vraiment sublime réparti sur 5 étages !

Le musée des Arts décoratifs à lui tout seul, c'est plus de 150.000 œuvres, du mobilier médiéval au contemporain en passant par le XVIIIe siècle français, l’Empire, l’Art nouveau et l’Art déco mais aussi d’importants fonds de bijoux, de jouets, de papiers peints, d’orfèvrerie, de céramique, de verrerie, de dessins, etc. Un peu comme le V&A Museum du South Kensington à Londres, mais en mieux.


En ce moment et jusqu'au 6 avril prochain, le musée de la Publicité présente une sélection d’environ 80 films d’animation publicitaire. Un vrai régal de voir ou de revoir ces images d’archives qui avaient bercées notre enfance au cinéma ou au petit écran (les réveils Jaz, les cachous Lajaunie, etc.). On y présente aussi toute l’évolution des différentes techniques d’animation (de l’image de synthèse en passant par les papiers découpés ou les marionnettes).

Aussi rouge que possible est la prochaine exposition à venir (début 2008). Il s’agira de couvrir les nombreux domaines où le rouge apparaît de manière incontournable et de mettre en évidence les différents symboles que revêt cette couleur dans toutes les sociétés et à toutes les époques (le rouge représente en effet le danger, le sang évidemment, mais aussi le rouge plaisir, ou encore le luxe, etc.).

À voir donc.

vendredi 4 janvier 2008

Un compagnon de route

(jadis)

Au XIXe siècle, un objet quotidiennement utilisé aux Archives nationales peut, au-delà de son aspect fonctionnel, prêter à la rêverie.

Le voici dans une rêverie de mon collègue Pierre Bureau. Il s'agit d'une hotte utilisée par les commis pour transporter les cartons d'archives d'un magasin à un autre ou tout simplement à des lecteurs impatients de consulter la matière y contenue.

Il est de ces objets échoués dans un grenier
ayant une âme.

Ainsi, un simple reste en bois porte en lui toute une histoire.
Et ses utilisateurs devaient les connaître particulièrement.

Les sentir.

Si ce résidu de bois n'était en fait pas qu'un simple outil,
une sorte de prolongement de la personne,
l'endossant le matin
dans le silence des Grands Dépôts,
la quittant le soir
après une rude journée.
Mais elle lui était fidèle,
c'était son compagnon de bois.

Bien avant
l'ère des chariots électriques.

(l'objet aujourd'hui)

jeudi 3 janvier 2008

Emma Santos

En un après-midi pluvieux, j'ai lu presque tout Emma Santos à la bibliothèque de Beaubourg. M'intéressant un peu à tout ce qui tourne autour de la folie en général (leurs dessins, ce qu'on appelle improprement l'art brut, leurs écrits, etc…, c'est en fait une cousine psychiatre à Lyon qui m'a fait intéresser à ce sujet ainsi que mon collègue Pierre B., voir aussi mon billet sur l'inventeur aliéné), j'avais commencé à ouvrir un livre au hasard, et je suis resté à lire une bonne dizaine de ses écrits.
Il s'agit de petits récits fort intrigants et percutants dont le style est très mystérieux, presque viscéral, on a l'impression qu'elle a écrit "avec les tripes", cela ne laisse pas indifférent.
Ils se présentent comme des récits de maladie mentale ou comme un discours psychiatrique troublant avec une écriture éclatée, fragmentaire mais qui nous enchante car contenant des images merveilleuses ("le sourire du chat" dans un livre dont j'ai oublié le titre), des couleurs délicates (une description du pardon d'Auray en Bretagne), des sons sauvages, un rythme d'écriture prompt, etc.

Emma Santos, c'est un pseudonyme (née dans les années '40 et décédée en 1983), c'est donc avant tout la folie racontée (elle a même interprété son propre personnage au théâtre en 1976, ce qui a donné Le Théâtre, encore joué de nos jours comme en 1978 au Théâtre des Osses de Fribourg ou au printemps 2000 au Guichet Montparnasse), c'est aussi l'auteur de fort nombreux ouvrages dont La Loméchuse (1973), La Punition d'Arles (1975), La Malcastrée (1976) qui a été jouée récemment en Suisse par la Compagnie Aloïs Troll (en 2004), Le Casier bleu (1977), Écris et tais-toi (1978), L'Illulogicienne (réédition, 1992), L'enfant qui avait perdu sa mort, etc., etc., et le tout dernier, resté inédit jusqu'à présent Effraction au réel (édition A. Fouque, 2006, 216 pages).

Ce sont donc des histoires (ou de fictions) de folie mais aussi de mort sur la thématique du double qui semblent être liées à une expérience concrète, celle de la solitude il me semble. Emma Santos se voit comme dans un miroir et l'image étant difforme et inversée, elle vit donc tout en double (elle est à la fois masculin et féminin comme une de ses héroïnes, Élisabeth, la femme-psychiatre) et l'usage de pronoms personnels devient anarchique (on passe de la troisième personne pour finir au "je").

Pour illustrer ce jeu de miroir constant dans ses écrits, voici un passage que je trouve merveilleux dans l'Effraction au réel, c'est presque un poème, j'aime beaucoup :
Elle rêve à des cavales noires laissant sa maison en foudre blanche (…).
Merveilleux !
Les songes sont filles des nuages (…). Elle fait miroiter les mots dans sa main. Elle regarde sa glace et voit une licorne blanche. Elle détruit et casse ses mille miroirs obsédants avec son image à l'infini et murmure, etc., etc. (...).

A découvrir et à lire donc.

mercredi 2 janvier 2008

Séquestration d'un inventeur

(dossier 2569 A 86 du 1er bureau de la Division des affaires
criminelles et des grâces, BB/18
)


On sait que le XIXe siècle créa de vastes maisons d'internement et que plus d'un habitant sur cent de la ville de Paris s'y est trouvé, en quelques mois, enfermé, et très souvent d'une manière arbitraire. On sait moins bien quelle conscience juridique pouvait animer ces pratiques.

Celui qui a lu Michel Foucault dans Histoire de la folie (Gallimard, 1972) ne pourra pas rester insensible à cette folle histoire que j'ai trouvé en BB/18/1807, dossier 2569 A86.

C'est au hasard d'une banale demande d'assistance judiciaire refusée à nommé Cantin, demeurant au 52 rue de Clichy, en septembre 1886 que l'histoire commence.

Alexandre Cantin, inventeur mécanicien, natif de Saint-Michel en Savoie porte plainte contre les administrations de la Société des perforations à qui il reproche de n'avoir pas honoré la somme de 50 000 francs pour un brevet de perforateur rotatif très sophistiqué en usage dans diverses industries et notamment dans les mines, dont il serait l'auteur (dossier ouvert au civil numéro 241 B87).
Inventeur en manque d'argent, Cantin s'adresse donc à des intermédiaires qui trouvent l'argent et exploitent l'invention de compte à demi avec lui. C'est une démarche classique, bien que, très souvent, l'inventeur est, en fin de compte, le plus exploité. Ce fut le cas de Cantin. Les statuts de son brevet furent déposés chez maître Pinguet, notaire, rue des Pyramides, le 5 avril 1883 (étude LXXIX).
Mais Paul et Mathiessen, associés de Cantin, n'étaient pas des investisseurs sérieux et la Société ne put être constituée légalement faute du versement du quart du capital et après l'entrée en scène d'un certain Braggiotti, de Londres, qui se contenta de délivrer un faux chèque et de donner une fausse adresse, la Société fut dissoute par décision prise en assemblée générale le 17 novembre 1883.

Toutefois, comme les commandes arrivaient de tous côtés, Cantin eut l'imprudence de continuer l'exploitation et évidemment se vit frustré des bénéfices qu'il devait légitimement retirer de son invention (la société ayant été dissoute). Il protesta donc avec la plus vive indignation prétendant qu'il n'avait rien cédé et accusant ses anciens associés de l'avoir dépouillé, d'avoir commis des faux, etc., etc.

Qu'advint-il ensuite ? d'innombrables procès s'en suivirent et on essaya de faire passer Cantin pour fou. En 1892 une commission d'aliénistes fut nommée pour l'examiner et conclut que Cantin était parfaitement sain d'esprit et même "exceptionnellement intelligent" (!) mais traqué de tous côtés par ses adversaires, une nouvelle commission présidée par le docteur Garnier le déclara fou. Il fut arrêté le 17 mai à sept et demie du matin à son domicile par deux agents de la Sûreté et interné à Sainte-Anne d'abord, à Villejuif ensuite.

Artaud (ça ne s'invente pas !), son logeur, affirme aux inspecteurs qu'il est "absolument convaincu [que] Cantin est victime d'une vengeance mystérieuse et qu'en aucun cas, le malheureux inventeur [n'] est fou".

En effet, après inspection, il appert qu'en réalité les agents étaient porteurs d'un mandat seul, signé par le juge d'instruction, mais parce que Cantin était "sourd comme un pot" et qu'il "s'exprimait avec difficulté" (originaire de la Savoie toute récemment annexée à la France) et "[éprouvant] de la difficulté à écrire correctement", il se fit très violent envers ceux-ci et donc fut immédiatement écroué puis interné.

Ce n'est que par la décision du 5 novembre 1897 que le tribunal de Chambéry ordonna la sortie de Cantin de l'asile des fous. Il avait alors 63 ans et demanda alors une assistance judiciaire... qui lui fut refusée…

Ronds de fumée

Aujourd'hui 1er janvier 2008 la mesure qui fixait les conditions d’application de l’interdiction de fumer dans les lieux publics (voir mon billet) s’étend dorénavant aux cafés, hôtels, restaurants, et autres lieux de convivialité...il était temps vraiment temps ! Le fait de fumer hors des emplacements réservés à cet effet sera sanctionné par une contravention de 68 euros.

Mais on pourra aussi fumer sans pour autant payer une amende ! en effet, comme le fait remarquer l'excellent Littré (voir la signification de fumer dans le Littré), fumer c'est avoir du dépit, de l'impatience, exemple : "je l'ai fait fumer. Il fume, mais il n'ose témoigner son dépit" ou "la tête lui fume, il est fort en colère", etc., au reste on dit aussi en ce sens : "fumer sans pipe…" les secrétaires, entre autres, sont donc averties...(attention ! ce n'est pas de moi mais du très sérieux Littré).

Allez, finissons par une note plus poétique, Mallarmé par exemple :

Toute l’âme résumée
Quand lente nous l’expirons
Dans plusieurs ronds de fumée
Aboli en autres ronds

Atteste quelque cigare
Brûlant savamment pour peu
Que la cendre se sépare
De son clair baiser de feu

etc.

Bonne année donc et bonne santé à tous les fumeurs et non fumeurs.